Au restaurant, à la brasserie ou au café du commerce, lorsque je demande l’addition, soudain les visages se décrispent. Les serveurs jusqu’alors plutôt inhospitaliers, se muent en potentielles machines à sous, avec écrit dessus : par ici le pourboire ! Un pourboire mais au nom de quoi ? D’un service ? Pas sûr. D’une prestation ? On en est loin. D’une attention ? Ne rêvez pas ! De nos jours, ce sont les clients qui font « quasi » tout le boulot ! Vous doutez encore ? Alors jugez plutôt : aujourd’hui, on a le pain avec le café, le sel sans le poivre, l'eau pétillante à la place d’une carafe d’eau, un verre de vin en 28cl au lieu de 14, la fourchette en guise de cuillère, le couteau en guise de bâtonnet à cocktail, une seule tranche de pain à la place d'une panière de pain, un « ouais » plutôt qu'un oui, un seul menu... pour quatre, des verres sales, un « sais pas » au lieu d’un « je me renseigne »… et j’en passe ! Les temps changent… soit, mais alors que les automatismes aussi ! Exit le séculaire pourboire, dit aussi la pièce, le pourliche, l’obole, la gratification, etc. donné aux serveurs grognons.
Place aux nouveaux clients ! Entre la réalité d’antan (« bonjour bienvenue ! Vous désirez déjeuner, dîner, un café ? Quelle table vous ferait plaisir ? Je vous en prie. Merci de votre visite. Tout est fait maison »), et aujourd’hui (« B’jour ! ´Voir ! Ouais. Vous me passez l’assiette. Ah pas de carte en-dessous de 15euros ! Ah non, on n’a plus de quiche... ni de plat du jour ni de dessert; Ah non les cuisines sont fermées. Ah non, les sandwiches ce n'est qu’au comptoir ! Ouais ! quoi ? Sais pas »), la messe est dite. Cauchemar en cuisine est devenu cauchemar en salle ! Les clients n’ont plus le temps de déjeuner ni de dîner, ils doivent endosser le rôle de « super clients » : à savoir manger tout en faisant des activités étonnantes ! Aider à dresser la table, ramasser les miettes de pain, nettoyer la table, enlever la nappe en papier, mettre au vestiaire leurs propres manteaux, se lever pour chercher le menu, répéter quatre fois la commande au serveur qui ne daigne pas les écouter, saluer en arrivant et en partant …! Bref, à s'auto-gérer. Alors en plus de l'addition, ils méritent bien une récompense à défaut de payer l'addition avec la tva à taux plein non ? Parce que tant d’abnégation dans le silence de ces clients qui payent leur repas et participent au chiffre d'affaire des restaurateurs qui se plaignent haut et fort des coûts des matières premières, de l’inflation et du taux de remplissage en nette diminution, ça mérite bien un petit pourboire ! Parce que payer un bon repas, cela va de soi… mais payer un repas et se taper en plus le service, il y a des limites ! Vous allez voir que bientôt, on se fera rabrouer si on n’a pas garé sa voiture (à la place du voiturier), fait notre repas (à la place du Chef), passé l’aspirateur, récuré les plats , assuré le service, fait la caisse… et le tout, en payant sans avoir dîné ! Le comble mais sait-on jamais…!
Barbara Delaroche