Maminute.com / « La crise de la bise »

Chaque jour, retrouvez mon billet d’humeur. Une phrase inattendue, une rencontre insolite, une image étonnante , une idée innovante,une astuce partagée, un fait d’actualité passé à la loupe... tous les jours, il y a tellement de quoi dire !

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le baiser sur la joue ne vient pas de notre culture mais date de l’antiquité. Ce sont les Romains qui en ont fait un code social. Si la pratique se raréfie au XIVème siècle afin d’éviter la propagation de la peste noire, elle est bannie de l’espace public au XIXème siècle et remise au goût du jour en mai 68. Mais voilà que cinq décennies plus tard, en 2020, elle est de nouveau malmenée... Et pour cause !

Cet été n’aura pas été la saison des méduses mais bien celle de la bise qui électrise l’opinion publique et divise la France. Plus de bise pour se saluer mais des coups de coudes, des coups de poings au ralenti, des coups en tout genre... à la place de bises ! Baptisé le « check », cette alternative à la poignée de mains dont l’ascension n’a cessé de croître, remonte à la période esclavagiste aux États-Unis. Décidément, cette pandémie nous en aura fait voir de toutes les couleurs ! Au point donc de nous déshabituer de la bise. Mais dans les faits et au quotidien, pas si facile de s’en défaire !

Concrètement, malgré les mesures sanitaires et de distanciations sociales toujours d’actualité, jamais je n’ai vu ni croisé autant de personnes « inconnues » qui ont voulu me faire la bise ! Incroyable lorsqu´entre membres de même famille, on se retient de s´embrasser pour se protéger. Comme un devoir, une leçon à appliquer. Hélas avec d’autres, c’est une toute autre histoire : à peine présentés, paf la bise

vous tombe dessus ! Comme un missile. Obsolète le petit laps de temps d’antan où l’on se regardait mutuellement en préambule avant de se faire la bise, comme pour être sûre que l’autre en face était aussi « partant » pour ce mode de salut chaleureux ! Non, là, pour certains, comme une urgence, cet été il fallait rattraper le manque à gagner des trois mois confinés ! Ainsi, avec la Covid, la bise a pris un terrain glissant... quitte à donner lieu à des scènes surréalistes : des bisous arrachés à la volée, limite non consentis, sur le vif et carrément sauvages ! Si j´adhère de faire la bise aux personnes que je connais, voire que je rencontre, je n’aime pas du tout en revanche qu’on me l’impose aussi brutalement, surtout en ce moment et de la part de personnes que je ne connais pas ou à peine ! À croire que le confinement n’a pas été vécu et appréhendé de la même manière en ville ou à la campagne, c’est la seule explication valable parce sinon pourquoi s’embrasser alors que la distanciation sociale reste très préconisée ? En campagne, le confinement semble s’etre passé « en douceur » tandis qu’en ville, l’ambiance était sans conteste plus tendue, anxiogène et oppressante. Mais quand même... Constater à ce point des différences criantes et notoires, c’est troublant ! Il y a ceux qui ont opté pour les saluts à distance mais sincères - car se saluer c’est d’abord se regarder donc peut-être est-ce un mal pour un mieux ? - ceux qui ont opté pour les checks -positif là aussi car d’un coup, plus de gouffre générationel 2.0, tout le monde au même diapason : les vieux checkent avec les parents qui checkent avec les grands-parents qui checkent eux-mêmes avec leurs petits-enfants - et puis il y a ceux qui

créent cette confusion des sens et font comme il n’y avait jamais eu d’épidémie et qui vous embrasse comme du bon pain... Déconcertant oui car que faire ? Que dire ? Comment réagir face à ce baiser malgré les mises en garde ? Une ambiance de science-fiction digne de H.G Wells, « La guerre des mondes ». Comme s’il y avait deux mondes qui s’affrontaient. Ceux qui niaient et ceux qui résistaient...

En tous les cas, ce qui est sûr, c’est que la fameuse « bise » pour dire bonjour, fraîche, légère, spontanée de l’ante pandémie a pris un sérieux coup de blues. Auparavant « star culturelle » de tous pour se saluer, « héroïne » des soirées, des dîners, des anniversaires... la bise s’est trouvée fort dépourvue quand la pandémie fut venue ! Elle est tombée dans le néant du jour au lendemain. Puis, à l’heure du déconfinement, la bise est petit à petit réapparue, timide, incertaine, changée, scrutée et surtout « plus » forcément « la bienvenue » . C’est que désormais avant de se faire la bise, on réfléchit... C’est précisément cette sensation, cette réflexion, cette précaution qui change la donne. On parle de crise économique, sanitaire, environnementale, mondiale... mais quid de la crise de la bise ? Si cela prête à sourire dans un premier temps, elle souligne néanmoins un malaise plus profond, plus identitaire. Parce qu’au-delà du simple bisou « mis en quarantaine » pour cause de mesures sanitaires, c’est tout un mode de vie qui est ébranlé : le nôtre. Ne ne plus être libre de saluer une personne comme on l’entend, par la bise ou par la main, est déroutant. Il faut se retenir et y réfléchir avant. Oui, mais jusqu’à quand ? Plus qu’un bisou ou une poignée de main en quarantaine, c’est bien une liberté, un élan, une coutume culturelle, un art à la française qui est aussi bien écorné. Finalement, apprendre à se saluer à distance, oui, ça demande aussi du temps !

Barbara Delaroche

Crédit photo : French with Shelley