Bon alors si je comprends bien ou plutôt si je saisis bien : je suis donc je n’existe pas. Ou plutôt : si je ne suis pas... j’existe ! C’est bien cela non ? Non, vous ne cauchemardez pas ! Enfin, si. Bref, si vous souhaitez comme moi renouer dès demain avec le monde des vivants, en vous rendant chez les commerçants qui ont - enfin -le droit de réouvrir à compter du samedi 28 novembre, faites gaffe néanmoins à ne pas vous emmêler les pinceaux car le nouveau jargon à la mode en ce moment - pratiqué en boucle par l’intelligentsia pardon par les politiques - est : l’oxymore. Également appelé oxymoron. À vous de voir. Le résultat est le même. Pour celles et ceux qui ne sauraient plus ou pas la signification de cette figure de style, un exemple : « la clarté sombre » (Le Cid de Corneille) ou « boucherie héroïque » (Candide de Voltaire), ou « épouvantablement ravissante ! (Cyrano de Bergerac d’Edmond de Rostang) ou sinon plus actuel, et avec bien moins de panache (et c’est là où le bât blesse) : « si une famille de trois personnes rentre dans un commerce, elle compte pour une personne ! ».
Vous avez saisi ? Moi j’essaie... j’essaie de me projeter comme une jauge. Je suis une jauge, tu es une jauge, on/il/elle est une jauge... Alors déjà que la parité est loin d’être gagnée dans le monde du travail, voire dans notre société par bien des côtés de moins en moins moderne, mais alors si en plus, il faut désormais s’envisager comme une jauge, là, tout fout le camp ! Plus question de féminité ou de masculinité d’ailleurs. Non. On parle de jauge. Bis repetita comme un mantra : Je suis une jauge, tu es une jauge, on/il/elle est une jauge...
Bref, soyons positifs puisque nous pouvons désormais aller chez nos commerçants préférés, alors outrepassons ce terme un brin « mécanique » qui fait penser, il est vrai, davantage d’emblée à une voiture (« tu as vérifié la jauge de l’huile du moteur ? ») ou aussi au monde du spectacle (« dis donc Jo, de
combien est la jauge de la salle de spectacle ce soir ? »). Mais voilà, lorsque demain je rentrerai le cœur léger, comme bon nombre d’entre nous dans les magasins, après la fouille des sacs contre le terrorisme, le gel des mains contre la
Covid, voici la jauge ! D’emblée, je serai jaugée à vue d’œil ? A savoir 8 mètres carré exactement pour moi toute seule (on progresse car lors du premier confinement, il s’agissait de 4 mètres carré). Oui mais moi égal quatre.
Oui je me balade souvent en famille... Mais si je soustrais à quatre, deux (si mes enfants décident de rester au chaud loin de cette ambiance de dingue), on peut quand même rentrer avec mon mari ? Rentrer c’est bien mais ce n’est pas terminé ! C’est le parcours du combattant qui nous attend demain. Et si aller faire des courses de Noël revient, non pas à faire du traditionnel shopping, mais à du calcul mental avec maux de tête à la clé et à chaque entrée chez un commerçant, ça promet (bonjour, surface totale s’il vous plaît ? Ou encore : Le magasin a-t-il été aéré il y a moins de trente minutes ? ) et autant dire que la carte bleue aura du mal à chauffer ! Et donc re-bing, encore un uppercut pour notre économie ! Parce qu’en plus d’être jaugés, les commerces qui soufflent de pouvoir enfin ouvrir leurs portes d’entrée à leurs clients, devront néanmoins « s'engager » à la qualité de l’air en aérant régulièrement (au moins 30 minutes par jour), ou avec un système de ventilation efficace qui assure la même aération.
Alors si j’ai bien compris, dès demain, ce que l’on nous demande c’est de continuer à sortir masqué, avec tous les gestes barrières, de soutenir nos commerçants plutôt qu’Amazon, tout en étant jaugé, gélé à l’hydroalcoolique, aéré... qu’est-ce qui manque ? Ah oui, l’essentiel : acheter... Joyeux Noël !🎁
Barbara Delaroche